Réflexivité de la conception
Dans le cadre de mon diplôme au sein du Master DIIS (Design, Innovation, Interaction et Services à l’Université Bordeaux Montaigne), j’ai réalisé un travail de recherche qui pose un regard réflexif sur la pratique du design aujourd’hui. Quelques mois après ma soutenance, et après plusieurs échanges avec mon entourage professionnel au sein du Collectif Bam, il m’a semblé intéressant d’écrire un article qui permette de partager la réflexion que j’ai développée dans ce mémoire.
Mémoire de recherche, septembre 2018
Introduction
Ma recherche aborde la notion de réflexivité. Qu’est-ce que la réflexivité ? La réflexivité, peut s’entendre comme la capacité qu’a la réflexion à se prendre elle-même comme sujet. Mais qu’est-ce que la réflexivité appliquée au design ? Il s’agit donc de la capacité que développe le designer à réfléchir dans et sur sa pratique de design.
La réflexion que j’ai développé dans ce mémoire de recherche provient d’un cheminement que j’ai construit pendant mes années d’études à l’université et qui interroge la posture du designer, son rôle et ses missions au sein d’un monde de projet en évolution. La question de la réflexivité en design s’est progressivement révélée comme inhérente à la pratique. Le design est une jeune discipline (par jeune j’entends récente) qui nécessite encore aujourd’hui de se préciser et de se structurer. La première raison qui explique ce flou qui l’entoure encore aujourd’hui est, selon moi, son caractère profondément interconnecté aux environnements avec lesquels il travaille. Le design est évolutif et l’histoire de l’évolution des pratiques nous le montre bien.
Afin de comprendre les enjeux de cette évolution, j’aime utiliser une comparaison qui s’appuie sur la Théorie de la Reine Rouge qui explique la théorie de l’évolution de Darwin. À savoir que : chaque espèce évolue en fonction des autres espèces et de son environnement. Son adaptation et son évolution sont les conditions de sa survie. Finalement, si l’on compare le design à une espèce, nous pourrions nous demander, en regardant l’histoire du design, comment la discipline a évolué par rapport à son environnement et aux autres disciplines qui l’entourent. Mais ce n’est pas là la recherche que j’ai menée, même si certains points pourraient alimenter cette comparaison.
Darwin et l’hypothèse de la Théorie de la Reine Rouge : Leigh Van Valen, 1973.
La recherche que j’ai menée s’intéresse, dans un premier temps à comprendre la conception et ses enjeux et se focalise dans un second temps sur la capacité du designer à interroger sa pratique de conception et à regarder la façon dont il s’adapte face aux enjeux qu’il rencontre.
Cette recherche m’a permis de comprendre que la réflexivité est une réponse parmi d’autres à cet enjeu d’adaptation que rencontre le design et le designer avec lui pendant son travail de conception. Ma recherche ouvre sur une autre recherche qui pourrait se poser la question suivante : Comment améliorer l’adaptabilité du design (et du designer) aux environnements avec lesquels il co-évolue ?
Terrain de recherche
Dans cette recherche j’ai entendu le terme design dans son sens hérité de l’anglais to design qui signifie concevoir. J’ai donc volontairement alterné et remplacé les termes design par conception, et designer par concepteur.
Le design que j’ai étudié est un design polymorphe du point de vue des différentes formes de design qu’il génère (design produit, design de services, design d’espace, design graphique, design d’expérience, design de politiques publiques, etc), et un design politique pour les valeurs et le projet social qu’il porte. Mes recherches se positionnent notamment dans la lignée des voies du design social et éthique mais ne s’y cantonnent pas.
Contexte
Ma réflexion part d’un constat : l’émergence de deux mouvements connexes qui interrogent nos façons de produire et de concevoir les objets qui nous entourent (expériences, produits, interfaces, espaces, services, etc). Le premier mouvement est un mouvement de la conception : en effet les pratiques de conception évoluent vers des pratiques de co-conception qui reconnaissent le récepteur du projet comme légitime à prendre part à la conception. Le second mouvement est un mouvement de la réception : où le récepteur “passif” devient un récepteur “actif” et évolue vers une figure de récepteur-concepteur qui développe des pratiques et des savoirs-faire.
Le concepteur est celui qui conçoit le projet, il s’agit de la figure du designer. Le récepteur est celui qui reçoit le projet de conception, il s’agit de la figure de l’usager, du bénéficiaire, du consommateur, de l’amateur etc. Cette conception n’est qu’un transfert du modèle des sciences de la communication, qui différencie l’émetteur d’un signal du récepteur de ce même signal, au champ de la conception.
Problème
Le problème qui initie cette recherche est le suivant :
Plan de recherche
Mon travail se structure en 3 parties qui suivent progressivement l’évolution de mon raisonnement.
Pour lire intégralement ma recherche c’est par . Sinon, les lignes qui suivent en proposent une version résumée :
PARTIE 01 : Quels modes de conception en design
La première partie s’intéresse aux modes de conception et notamment au mode projet et à sa spécificité en design.
Après avoir abordé la notion de projet dans sa globalité à partir notamment des travaux de Jean-Pierre Boutinet, je me suis intéressée à sa spécificité en design en différenciant deux phases, la phase de conception qui correspond à l’acte de conception et la phase de réception, qui correspond aux effets de la conception sur le récepteur.
« Certes, de nos jours, le design peut être considéré (au plan anthropologique) comme une pratique du projet parmi d’autres (Boutinet), mais il n’est certainement pas (au plan épistémologique) une pratique du projet comme les autres 1 ».
J’ai interrogé cette conceptualisation (fondée notamment sur les travaux de Stéphane Vial, d’Alain Findeli et de Rabah Bousbaci) au regard des deux mouvements connexes présentés en contexte. En effet, je me suis demandée, qu’est-ce que cela change sur le projet de design lorsque (1) les pratiques de co-conception et de co-design investissent la phase de conception ? Et qu’est ce que cela change lorsque (2) la figure du récepteur passif se transforme progressivement en une figure de récepteur plus actif qui développe des pratiques d’amateur ?
Au regard de tous ces éléments, j’ai focalisé la suite de notre recherche au niveau de l’interface entre le concepteur et le récepteur en m’intéressant aux attitudes et aux choix de conception opérés par le concepteur à destination du récepteur.
PARTIE 02 : Quels régimes et attitudes de conception ?
La seconde partie s’intéresse donc à ce que j’ai appelé les régimes et les attitudes conception. Je me suis focalisée sur deux attitudes de conception : une conception dite « fermée » que je propose d’appeler régime de conception impérative, et une conception dite « ouverte » que je propose d’appeler régime de conception interrogative.
Afin d’illustrer ces deux régimes, je les ai étudié à travers deux concepts : le concept de dispositif et celui d’appareil qui ont été théorisés par Michel Foucault, Pierre Damien Huyghe et Anthony Masure essentiellement.
« Le dispositif […] est ce qui cherche à saisir les êtres vivants dans un réseau de contrôle 2 ».
Pour confronter ces concepts à la pratique, j’ai réalisé une analyse d’objets de design : des services, des produits ou des outils que je présente en annexe 1. Cette annexe présente un essai de classification de plusieurs objets de design selon qu’ils présentent plutôt des qualités d’appareil ou de dispositif :
La suite de mon raisonnement s’est donc intéressée aux effets générés par ces deux types d’objets sur le récepteur. Qu’est-ce qu’un dispositif produit comme effets sur le récepteur ? Et un appareil ?
« De nos jours, l’industrie produit de plus en plus d’appareils, qui appelleraient des pratiques : ils ne sont pas simplement des outils ou des objets, ce sont presque des instruments, mais dont on réduit pourtant, bien à tort, la socialisation à des usages 3 ».
Alimenté par les écrits de Bernard Stiegler mon analyse a cherché à démontrer en quoi un dispositif, par ce qu’il dispose le récepteur dans un usage prédéfini à l’avance conduirait à “désindividuer” celui qui l’utilise, alors qu’à l’inverse, un appareil, parce qu’il invite à l’appropriation et au développement d’une pratique singulière conduirait davantage à individuer le récepteur.
Finalement, en traçant un axe, celui de la réception, on pourrait caricaturer en proposant qu’il y ait du côté négatif de la réception les objets fermés, les dispositifs et les régimes de conception impératifs, et du côté positif de la réception les objets ouverts, les appareils et les régimes de conception interrogatifs.
À ce stade, il me parait important de nuancer mes propos. En effet, mon approche peut paraitre tranchée et peu nuancée jusque-là. La distinction assez radicale que j’opère entre objet ouvert / objet fermé, appareil / dispositif et individuation / désindividuation, l’est effectivement dans la démonstration théorique mais est beaucoup plus nuançable dans la pratique. En effet, l’analyse d’exemples de l’annexe 1 le démontre bien. Il existe différents degrés entre le pur appareil et le pur dispositif.
De façon assez logique, l’étude de ces deux régimes de conception m’a conduit à me poser la question de la responsabilité du concepteur, et de l’éthique de conception qui est engagée dans tout projet de design. En effet les voies du design éthique et social m’ont permis d’aborder la question de nouveaux enjeux de conception (enjeux moraux et sociaux) auxquels se retrouvent confrontés les designers. Ces enjeux sont présentés notamment à travers le documentaire Ethics for Design.
Cependant, mon raisonnement s’est confronté à un obstacle : tout en reconnaissant qu’une conception ouverte est plus éthique qu’une conception fermée, je n’ai pas pu nier l’existence des formes de design fermées qui certes, génèrent des effets négatifs sur l’épanouissement de l’individu récepteur mais qui, du point de vue fonctionnel répondent à nos besoins. En effet, peut-on blâmer le designer qui conçoit un objet fermé qui répond au contexte de la commande ? Peut-on le qualifier de mauvais designer ? Ne remplit-il pas sa mission professionnelle pour autant ? Sur quels critères peut-on en juger ? Peut-on blâmer le design fermé sous prétexte qu’il n’est pas éthique ? Ou qu’il l’est moins qu’un autre ? Toutes ces questions soulèvent des problèmes auxquels on a encore du mal à répondre aujourd’hui.
« Il en va de même avec la question de l’éthique professionnelle, c’est à dire de la responsabilité du designer. Bien sûr il est inhumain de demander à un designer de prendre la responsabilité de toutes les interactions souhaitées et non-souhaitées de son acte car sa compétence professionnelle est limitée. Toutefois il ne peut pas être ignorant des interactions et conséquences inhérentes à son acte, c’est à lui d’identifier là où ses compétences sont pertinentes et influentes dans les dynamiques du système et c’est à lui de tout mettre en œuvre pour veiller à la nature apaisée des interactions modifiées. C’est là une question de décence et de dignité 4 ».
Cet obstacle m’a permis de comprendre que l’éthique de conception n’est pas le seul enjeu auquel se retrouve confronté le designer.
PARTIE 03 : Quelle réflexivité du concepteur ?
Pour identifier ses autres enjeux j’ai réalisé une étude de cas d’un projet réalisé au sein du Collectif Bam pendant mon année d’apprentissage. Avec du recul, il me semble que ce travail d’identification des enjeux de conception aurait mérité une analyse de plusieurs cas de projets différents afin de confronter et d’enrichir les résultats obtenus.
C’est seulement à ce stade de la réflexion que j’ai convoqué la notion de réflexivité issue des travaux en sciences de l’éducation (Donald Schön) à propos de la pratique réflexive de l’enseignant. J’ai tenté de démontrer que le design est une pratique réflexive àtravers l’étude du processus de conception. En effet, le designer convoque tout au long du projet, des ressources (R) à la fois théoriques et pratiques construites à partir de sont expérience antérieure antérieure (apprentissage). Le processus de conception tel qu’il est pratiqué par les designers intègre la notion de réflexivité. En effet, le designer est un praticien qui réfléchit et agit dans et sur l’action en vue de résoudre le problème que lui pose la commande.
proposition de représentation d’un processus de conception
Finalement, un des principaux enjeux du designer n’est-il pas de conserver un recul réflexif sur sa pratique et sur les enjeux de conception auquel il est confronté ?
« Ce que le designer examine dans le cadre de sa pratique réflexive se trouve à la croisée du monde réel et du monde réflexif : son regard est focalisé sur le réalisable, sur ce qui peut potentiellement exister au vu de ce qui existe déjà 5 ».
Ma recherche abouti à la proposition de principes réflexifs sous forme de recommandations pour permettre au designer d’entrainer sa réflexivité.
- Avoir une bonne lecture du contexte : Le concepteur peut lire et appréhender le contexte du projet pour en faire ressortir les enjeux relatifs à la conception et à la réception.
- Garder en tête le dualisme conception — réception : Le concepteur peut interroger la conception à travers le miroir de la réception et inversement.
- Lutter contre l’automatisme et la routine : Le concepteur peut nourrir son regard critique pour lutter contre des choix de conception automatisés.
- Documenter sa pratique : Le concepteur peut documenter sa pratique de façon à pouvoir s’accorder un temps de prise de recul nécessaire à l’évaluation de ses choix de conception. Cet exercice lui permettra de pouvoir évaluer les résultats obtenus au regards des objectifs posés à l’origine de la commande (output/input)
- Ne pas considérer la posture du récepteur comme prédéfinie à l’avance : Le concepteur ne peut pas systématiquement considérer l’usager-récepteur comme un strict utilisateur mais toujours garder en tête qu’il peut être un usager-praticien et qu’il dispose de savoirs-faire et de savoirs-vivre qui sont mobilisables.
- Ne pas concevoir ouvert (ou fermé) pour concevoir ouvert (ou fermé) : Le concepteur peut se positionner du côté d’un régime de conception ouvert ou fermé s’il sait justifier ses choix de conception à partir d’éléments de contexte propres au projet. Il ne peut pas concevoir ouvert (ou fermé) par pure conviction idéologique ou par pur automatisme.
- Nourrir sa pratique réflexive en maintenant un dialogue intérieur : Le concepteur peut s’accorder du temps nécessaire à la prise de recul sur sa propre pratique pour entrainer sa réflexivité.
- Visualiser les enjeux qui sous-tendent sa conception : Le concepteur peut se représenter les enjeux qui sous tendent sa conception. Cet effort de visualisation lui permet d’identifier des relations de causes à effet.
Le tout se cristallise sous la forme de l’annexe 2 qui propose des intentions de cahier des charges pour l’amélioration ou la conception d’outils d’aide à la réflexivité du designer. Elle ouvre ainsi sur une nouvelle recherche (par le design cette fois).
Quelques exemples ci-dessous :
(Méthodologie)
- Enjeu : La définition du problème est un problème en soi qui oriente par la suite les choix de conception.
- Principe : Le concepteur peut interroger son raisonnement et sa méthode de conception
- Problème : Comment aider le designer à appréhender la commande de chaque projet ? Comment faciliter l’appréhension du problème ?
- Intention : Un outil de diagnostic et de prise de brief tel que le PLES ou le VRAP développé par le Collectif Bam est un outil qui permet au designer, accompagné de son client, de pouvoir cartographier la commande et saisir la complexité du problème dans toutes ses dimensions conceptuelles, organisationelles, opérationnelles et sensorielles d’un projet.
(Méthodologie)
- Enjeux : L’efficacité du processus de projet dépend de l’efficacité du concepteur, et du régime de conception qui est choisi pour le projet (conception /co-conception).
- Principe : Le concepteur peut interroger son raisonnement et sa méthode de conception.
- Problème : Comment aider le designer à mettre en place un processus de projet adapté au contexte de la commande et à la composition de l’équipe réunie ?
- Intention : Un outil qui permet de dessiner/visualiser un processus sur mesure (phasage, temporalité, calendrier, livrables, objectifs, personnes et moyens) pourrait être imaginé dans ce sens. Il serait utilisé par le designer à chaque début de projet pour composer le processus en fonction des besoins identifié lors du rdv de cadrage avec le client.
(Empirie)
- Enjeux : L’anticipation de résultats est stratégique dans le processus de conception, mais n’est pas toujours possible.
- Principe : Le concepteur peut interroger son expérience passée.
- Problème : Comment aider le designer à monter et défendre une stratégie de projet solide qui laisse de la place à l’incertitude et à l’itération ?
- Intention : Pour penser un outil d’aide à la mise en place d’une stratégie, un travail préalable est nécessaire pour comprendre et identifier des indicateurs de réussite de projets de design qui peuvent être sollicités pour des projets similaires.
(Sociologie)
- Enjeu : L’appropriation de l’objet de design par le récepteur dépend de sa capacité à s’approprier un objet
- Principe : Le concepteur peut interroger sa connaissance du récepteur pour qui il conçoit
- Problème : comment aider le designer à s’interroger sur la figure de récepteur à laquelle il s’adresse ? Comment l’aider à juger et à évaluer le type d’action qu’il peut engager vis à vis de cette compréhension du récepteur
- Intention : Pendant l’enquête terrain ou les phases de co-conception avec le récepteur, le designer pourrait intégrer une étape d’étude et de compréhension du type de récepteur auquel le projet s’adresse à partir de la mise en place d’indicateurs qui sont relatifs aux figures de l’usager et de l’amateur.
(Ontologie)
- Enjeu : L’appropriation de l’objet de design par le récepteur dépend du niveau d’appropriation prédéterminé par le concepteur
- Principe : Le concepteur peut interroger les raisons qui le poussent à prédéterminer les usages d’un objet
- Problème : Comment aider le designer à prendre conscience de certains choix qu’il opère et qui prédéterminent la réception du projet ? Comment l’aider à justifier ces choix ?
- Intention : Un outil de visualisation des relations de causes à effet pourrait être imaginé dans le but de visualiser les impacts de certains choix de design qui influencent la réception. Les connections pourraient être matérialisées et l’influence d’un paramètre sur l’autre pourrait être visible.
Conclusion
Ce n’est qu’une fois mon raisonnement déroulé que j’ai progressivement pris conscience de l’intérêt d’encourager un design réflexif.
En effet, encourager les designers à développer un regard réflexif sur leur pratique c’est les aider à progresser dans leur projet (apprentissage), prendre du recul nécessaire pour tirer des enseignements (en confrontant les résultats obtenus aux objectifs de départ), à documenter leur pratique pour expliciter leurs démarches et c’est aussi participer de façon plus globale à la démocratisation du design.
L’ensemble de ma recherche m’a permis d’évoluer sur certaines de mes positions initiales :
Fervente défenseuse des démarches de co-design, j’ai appris à relativiser ce réflexe du tout co-conception en lui donnant plus de poids lorsque celui-ci est justifié. Lorsque par exemple il est nécessaire pour le concepteur de comprendre le type de récepteur auquel il s’adresse : est-ce que je m’adresse plutôt à un récepteur de type usager ou de type amateur ? par exemple.
Également, reconnaitre l’interconnexion du design au monde et développer une pensée systémique me parait important pour prendre conscience des répercussions qu’ont les choix de conception du système design sur les systèmes avec lesquels il co-évolue. Cette prise de conscience entraine de façon assez logique une réflexion sur les valeurs que souhaite engager le concepteur dans son projet. Cette réflexion est notamment développée par Gauthier Roussilhe dans plusieurs de ses articles.
À ce sujet, je me suis posée la question de la réponsabilité. À qui doit-on la faire porter ? Au professionnel ou à l’individu qu’il est ? Il me semble que cette forme d’engagement que défendent certains designers et collectifs provient avant tout d’un engagement social qui est formulé par l’individu avant de l’être par le professionnel, et que cet individu souhaite mettre sa profession au service de cet engagement social. Finalement, la querelle entre designers éthiques et non éthiques n’est pas tellement utile, car l’engagement social ne saurait se limiter aux sphères professionnelles.
Cette recherche m’a également permis de relativiser mon discours sur l’éthique dans le design et d’identifier des risques de déformation de ce courant de pensée. En effet, il faut veiller, d’une part, à ne pas rendre ce mouvement moralisateur car ce n’est pas nécessairement la forme qu’il doit prendre pour sensibiliser, et d’autre part, veiller à ce qu’il ne se démocratise pas sous la forme d’une ethic washing généralisée.
Et pour cela, il faut encourager les initiatives réflexives déjà en place lorsque les praticiens du design se réunissent et interrogent leurs pratiques comme c’est déjà le cas par exemple lors des événements Ethics by Design organisés par le collectif Designers Ethiques ou encore lors des sessions Open Design organisées par le Collectif Bam sur la question du design libre.